Ihsan Akyuret, à la recherche d’une identité nationale perdue*

Kurde, Ali a connu une vie faite de déracinements et d’exils, qui l’ont finalement ramené à Istanbul, bien malgré lui.
 
Une bouffée de fumée  de cigarette rejetée en l’air. Une main sur la hanche. Le regard qui balaie son environnement. Ihsan Akyuret, alias Ali, est arrêté devant la pâtisserie où il travaille. « Je suis venu prendre un peu d’air ». Il travaille beaucoup. Un peu trop même parfois, pense t-il. Mais il n’a pas d’autre choix s’il veut nourrir sa femme et ses quatre enfants. Il doit travailler encore plus dur s’il veut espérer retourner en France et, pourquoi pas, revoir sa fille qui vit désormais au Portugal.
A 47 ans, ce Kurde garde encore les souvenirs de sa vie tourbillonnante. Entre la prison et la torture en Hollande, ses trois mariages, sa boutique à Paris. Ali ne retient qu’une chose : l’espoir de continuer à vivre.
 
 
Tout commence après le coup d’Etat de 1980. Pour des raisons politiques, la nationalité turque est retirée à Ali. Etranger chez lui par la force des choses, il est arrêté par la police, puis par l’armée. Mais il parvient à s’enfuir vers la France. Il s’installe dans un petit village en Corrèze.  Là, il y crée une pâtisserie. La chose qu’il sait faire le mieux. Tout semble aller comme sur des roulettes. « Je me suis même marié et j’ai eu une petite fille. J’avais une vie heureuse », se souvient-il. Mais les choses ne vont pas durer. Et en 1985, le mariage se brise. Ali n’a plus le droit de voir sa fille.
Une fois le divorce prononcé, il va à Paris dans 10e où il ouvre sa pâtisserie et rachète une fabrique de Peugeot. L’aventure le conduit en Hollande, où il contracte un mariage avec une psychologue portugaise. Une union qui va durer 12 ans.
 
 
« Là où on imagine même pas »
 
 
« Quand on est jeune, on fait beaucoup de bêtises. Et ça nous conduit parfois loin. Là où on imagine même pas. ».
Pour une histoire sur laquelle il refuse de revenir, Ali est emprisonné pendant 2 ans et demi dans une prison hollandaise.
La torture et la solitude meublent son quotidien. « Une fois, huit gardiens m’ont torturé au point où je suis tombé évanoui. Je souffrais tellement que j’ai demandé l’assistance d’un médecin extérieur à la prison. » Le diagnostic est formel. Ali est effectivement victime de torture. Le médecin décide d’emmener le dossier auprès d’Amnesty International et d’alerter le consulat de Turquie à Rotterdam. « Il n’ont jamais voulu que le premier conseiller de l’ambassade me voie. ». Même sa femme n’a pas le droit de le voir. Du côté d’Amnesty International, le dossier n’avance pas. Ali déprime. Mais jour après jour, il écrit tout ce qu’il subit, afin de garder une preuve de ses sévices.
 
Vers une vie nouvelle
 
Au terme de deux ans et demi, et d’un procès de deux jours, Ali est libéré.

 

En 1999, sans passeport et sans nationalité, il se fait rapatrier en Turquie par la police hollandaise. 19 ans passés hors de chez lui, il n’a qu’un seul objectif désormais : se reconstruire une nouvelle vie. Une nouvelle identité. Il se remarie avec une Kurde avec laquelle il a quatre enfants. Aujourd’hui, Ali a un emploi stable. Il est chef cuisinier dans une pâtisserie. Mais son passé le hante. L’envie qu’on lui rende justice sur l’épisode de sa torture, revoir sa fille qu’il a eu en Hollande et par-dessus tout : « Avoir droit à un visa et gagner suffisamment d’argent pour aller s’installer en Europe. Je n’ai pas d’avenir ici en Turquie. » 

 

 

*écrit avec la collaboration de Martine Mengué, journaliste camerounaise

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